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CHARLOTTE CORDAY

noblesse, n’y fut-elle pas seule encore ? On peut le croire, quand on sait combien, dans ces asiles religieux qui sembleraient devoir être les sanctuaires de l’égalité chrétienne, les riches méprisent les pauvres. Nul lieu, plus que l’Abbaye aux Dames, ne semble propre à conserver les traditions de l’orgueil. Fondée par Mathilde, la femme de Guillaume-le-Conquérant, elle domine la ville, et, dans l’effort de ses voûtes romanes, haussées et surexhaussées, elle porte encore écrite l’insolence féodale.

L’âme de la jeune Charlotte chercha son premier asile dans la dévotion, dans les douces amitiés de cloître. Elle aima surtout deux demoiselles, nobles et pauvres comme elle. Elle entrevit aussi le monde. Une société fort mondaine des jeunes gens de la noblesse était admise au parloir du couvent et dans les salons de l’abbesse. Leur futilité dut contribuer à fortifier le cœur viril de la jeune fille dans l’éloignement du monde et le goût de la solitude.

Ses vrais amis étaient ses livres. La philosophie du siècle envahissait les couvents. Lectures fortuites et peu choisies, Raynal pêle-mêle avec Rousseau. « Sa tête, dit un journaliste, était une furie de lectures de toutes sortes. »

Elle était de celles qui peuvent traverser impunément les livres et les opinions sans que leur pureté en soit altérée. Elle garda, dans la science du bien et du mal, un don singulier de virginité morale et comme d’enfance. Cela apparaissait surtout dans les intonations d’une voix presque enfantine, d’un timbre argentin, où l’on sentait parfaitement que la personne était entière, que rien encore n’avait fléchi. On pou-