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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

Il faut lire toute la scène dans ses Mémoires admirables, qu’on croirait souvent moins écrits d’une plume de femme que du poignard de Caton. Mais tel mot, arraché des entrailles maternelles, telle allusion touchante à l’irréprochable amitié, font trop sentir, par moments que ce grand homme est une femme, que cette âme, pour être si forte, hélas ! n’en était pas moins tendre.

Elle ne fit rien pour se soustraire à l’arrestation, et vint à son tour loger à la Conciergerie près du cachot de la reine, sous ces voûtes veuves à peine de Vergniaud, de Brissot, et pleines de leurs ombres. Elle y vint royalement, héroïquement, ayant, comme Vergniaud, jeté le poison qu’elle avait, et voulut mourir au grand jour. Elle croyait honorer la République par son courage au tribunal et la fermeté de sa mort. Ceux qui la virent à la Conciergerie disent qu’elle était toujours belle, pleine de charme, jeune, à trente-neuf ans ; une jeunesse entière et puissante, un trésor de vie réservé jaillissait de ses beaux yeux. Sa force paraissait surtout dans sa douceur raisonneuse, dans l’irréprochable harmonie de sa personne et de sa parole. Elle s’était amusée en prison à écrire à Robespierre, non pour lui demander rien, mais pour lui faire la leçon. Elle la faisait au tribunal, lorsqu’on lui ferma la bouche. Le 8, où elle mourut, était un jour froid de novembre. La nature dépouillée et morne exprimait l’état des cœurs ; la Révolution aussi s’enfonçait dans son hiver, dans la mort des illusions. Entre les deux jardins sans feuilles, la nuit tombant (cinq heures et demie du soir), elle arriva au pied de la Liberté colossale, assise près de l’échafaud, à la place