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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

temps contenu, s’épandra. Elle arrivait invincible, avec une force d’impulsion inconnue. Nul scrupule ne la retardait ; le bonheur voulait que, le sentiment personnel s’étant vaincu ou éludé, l’âme se tournât tout entière vers un noble but, grand, vertueux, glorieux, et, n’y sentant que l’honneur, se lançât à pleines voiles sur ce nouvel océan de la Révolution et de la patrie.

Voilà pourquoi, en ce moment, elle était irrésistible. Tel fut à peu près Rousseau, lorsque, après sa passion malheureuse pour Mme d’Houdetot, retombé sur lui-même et rentré en lui, il y retrouva un foyer immense, cette inextinguible flamme où s’embrasa tout le siècle ; le nôtre, à cent ans de distance, en sent encore la chaleur.

Rien de plus sévère que le premier coup d’œil de Mme Roland sur Paris. L’Assemblée lui fait horreur, ses amis lui font pitié. Assise dans les tribunes de l’Assemblée ou des Jacobins, elle perce d’un œil pénétrant tous les caractères, elle voit à nu les faussetés, les lâchetés, les bassesses, la comédie des constitutionnels, les tergiversations, l’indécision des amis de la liberté. Elle ne ménage nullement ni Brissot, qu’elle aime, mais qu’elle trouve timide et léger, ni Condorcet, qu’elle croit double, ni Fauchet, dans lequel « elle voit bien qu’il y a un prêtre ». À peine fait-elle grâce à Pétion et Robespierre ; encore on voit bien que leurs lenteurs, leurs ménagements, vont peu à son impatience. Jeune, ardente, forte, sévère, elle leur demande compte à tous, ne veut pas entendre parler de délais, d’obstacles ; elle les somme d’être hommes et d’agir.