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changer dans un même jour, le fin tissu de gaze errante que Lantara ne manque guère de lui donner dans ses tableaux. De son cercle de forêts, elle arrête de tous côtés les brumes légères à la pointe des arbres, s’amuse à s’en faire des voiles, des écharpes et des ceintures, je ne sais quel déguisement. Ses grès en leurs lourdes masses, vous les croiriez invariables, et ils changent d’aspect, de couleurs, j’allais dire de forme, à toute heure. La petite chaîne, par exemple, qu’on appelle le Rocher d’Avon, nous avait salués le matin, dans la senteur des bruyères, de la plus gaie lumière de l’aube, d’une ravissante aurore qui rosait le grès ; tout semblait sourire et s’harmoniser aux études innocentes d’une âme poétique et pieuse. Le soir, nous y retournons, mais la fée fantasque a changé. Ces pins qui nous accueillirent sous leur ombrelle légère, devenus tout à coup sauvages, ils roulent des bruits étranges, des lamentations de mauvais augure. Ces arbustes qui le matin invitaient gracieusement la robe blanche à s’arrêter, à cueillir des baies ou des fleurs, ils ont l’air de recéler maintenant dans leurs fourrés je ne sais quoi de sinistre, des voleurs ? ou des sorcières ? Mais le changement le plus fort est celui des rochers qui nous reçurent et nous firent asseoir. Est-ce le soir ? est-ce l’orage imminent qui les a changés ? Je l’ignore ; mais les voilà devenus de sombres sphinx, des éléphants couchés à terre, des mammouths et autres monstres des mondes anciens qui ne sont plus. Ils sont assis, il est vrai ; mais s’ils allaient se lever ?. Quoi qu’il en soit, l’heure avance, marchons... L’on se presse à mon bras.