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est l’état général des serfs, état parfaitement manifesté dans le Sabbat, qui est leur unique liberté, leur vraie vie, où ils se montrent ce qu’ils sont.

J’ai douté que l’inceste fût solennel, étalé publiquement, comme dit Lancre. Mais je ne doute pas de la chose même.

Inceste économique surtout, résultat de l’état misérable où l’on tenait les serfs. — Les femmes, travaillant moins, étaient considérées comme des bouches inutiles. Une suffisait à la famille. La naissance d’une fille était pleurée comme un malheur (Voy. mes Origines). On ne la soignait guère. Il devait en survivre peu. L’aîné des frères se mariait seul, et couvrait ce communisme d’un masque chrétien. Entre eux, parfaite entente et conjuration de stérilité. Voilà le fond de ce triste mystère, attesté par tant de témoins qui ne le comprennent pas.

L’un des plus graves, pour moi, c’est Boguet, sérieux, probe, consciencieux, qui, dans son pays écarté du Jura, dans sa montagne de Saint-Claude, a dû trouver les usages antiques, mieux conservés, suivis fidèlement avec la ténacité routinière du paysan. Lui aussi, il affirme les deux grandes choses : 1° l’inceste, même celui de la mère et du fils ; 2° le plaisir stérile et douloureux, la fécondité impossible.

Cela effraye, que des peuples entiers de femmes se soumissent à ce sacrilège. Je dis : des peuples. Ces sabbats étaient d’immenses assemblées (douze mille âmes dans un petit canton basque, voy. Lancre ; six mille pour une bicoque, La Mirandole, voy. Spina).

Grande et terrible révélation du peu d’influence morale qu’avait l’Église. On a cru qu’avec son latin, sa métaphysique byzantine, à peine comprise d’elle-même, elle christianisait le peuple. Et, dans le seul moment où il soit libre, où il puisse montrer ce qu’il est, il apparaît plus que païen. L’intérêt, le calcul, la concentration de famille, y font plus que tous ces vains enseignements. L’inceste du père et de la fille eût peu fait pour cela, et l’on en parle moins. Celui de la mère et du fils est spécialement recommandé par Satan. Pourquoi ? Parce que, dans ces races sauvages, le jeune travailleur, au premier éveil des sens, eût échappé à la famille, eût été perdu pour elle, au moment où il lui devenait précieux. On croyait l’y tenir, l’y fixer, au moins pour longtemps, par ce lien si fort : « Que sa mère se damnait pour lui. »