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eux. Seulement, ils devaient le dimanche, après la messe, aller se faire fouetter par leurs curés (Règlement de 1326, Archives de Carcassonne, dans L.-Langon, III, 191). — Le plus cruel, pour les femmes surtout, c’est que le petit peuple, les enfants, s’en moquaient outrageusement. Ils pouvaient, sans cause nouvelle, être repris et emmurés. Leurs fils et petits-fils étaient suspects et très facilement emmurés.

Tout est hérésie au treizième siècle ; tout est magie au quatorzième. Le passage est facile. Dans la grossière théorie du temps, l’hérésie diffère peu de la possession diabolique ; toute croyance mauvaise, comme tout péché, est un démon qu’on chasse par la torture ou le fouet. Car les démons sont fort sensibles (Michel Psellus). On prescrit aux crozats, aux suspects d’hérésie de fuir tout sortilège (D. Vaissette, Lang.). — Ce passage de l’hérésie à la magie est un progrès dans la terreur, où le juge doit trouver son compte. Aux procès d’hérésie (procès d’hommes pour la plupart), il a des assistants. Mais pour ceux de magie, de sorcellerie, presque toujours procès de femmes, il a le droit d’être seul, tête à tête avec l’accusée.

Notez que sous ce titre terrible de sorcellerie, on comprend peu à peu toutes les petites superstitions, vieille poésie du foyer et des champs, le follet, le lutin, la fée. Mais quelle femme sera innocente ? La plus dévote croyait à tout cela. En se couchant, avant sa prière à la Vierge, elle laissait du lait pour son follet. La fillette, la bonne femme donnait le soir aux fées un petit feu de joie, le jour à la sainte un bouquet.

Quoi ! pour cela elle est sorcière ! La voilà devant l’homme noir. Il lui pose les questions (les mêmes, toujours les mêmes, celles qu’on fit à toute société secrète, aux Albigeois, aux templiers, n’importe). Qu’elle y songe, le bourreau est là ; tout prêts, sous la voûte à côté, l’estrapade, le chevalet, les brodequins à vis, les coins de fer. Elle s’évanouit de peur, ne sait plus ce qu’elle dit : « Ce n’est pas moi… Je ne le ferai plus… C’est ma mère, ma sœur, ma cousine qui m’a forcée, traînée… Que faire ? Je la craignais, j’allais malgré moi et tremblante » (Trepidabat ; sororia sua Guilelma trahebat et metu faciebat multa). (Reg. Tolos., 1307, p. 10, ap. Limburch.)

Peu résistaient. En 1329, une Jeanne périt pour avoir refusé de dénoncer son père (Reg. de Carcassonne, L.-Langon, 3, 202). Mais avec ces rebelles on essayait d’autres moyens. Une mère et ses trois filles avaient résisté aux tortures. L’inquisiteur