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L’évêque cependant n’était pas rassuré. Il pensait que les trois Jésuites Girard, Sabatier et Grignet voulaient l’endormir, et un matin, avec quelque ordre de Paris, lui voler la petite fille. Il prit le parti décisif, 17 septembre, d’envoyer sa voiture (une voiture légère et mondaine, qu’on appelait phaéton), et de la faire mener tout près à la bastide de sa mère.

Pour la calmer, la garder, la mettre en bon chemin, il lui chercha un confesseur, et s’adressa d’abord à un carme qui l’avait confessée avant Girard. Mais celui-ci, homme âgé, n’accepta pas. D’autres aussi probablement reculèrent. L’évêque dut prendre un étranger, arrivé depuis trois mois du Comtat, le Père Nicolas, prieur des carmes déchaussés. C’était un homme de quarante ans, homme de tête et de courage, très ferme et même obstiné. Il se montra fort digne de cette confiance en la refusant. Ce n’était pas les Jésuites qu’il craignait, mais la fille même. Il n’en augurait rien de bon, pensait que l’ange pouvait être un ange de ténèbres, et craignit que le Malin, sous une douce figure de fille, ne fît ses coups plus malignement.

Il ne put la voir sans se rassurer un peu. Elle lui parut toute simple, heureuse d’avoir enfin un homme sûr, solide et qui pût l’appuyer. Elle avait beaucoup souffert d’être tenue par Girard dans une vacillation constante. Du premier jour, elle parla plus qu’elle n’avait fait depuis un mois, conta sa vie, ses souffrances, ses dévotions, ses visions. La nuit même ne l’arrêta pas, chaude nuit du milieu de septembre. Tout était ouvert dans la chambre, les trois portes,