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dans le genre fleuri, un peu mondain, qu’aiment les dames. Vrai jésuite qui pouvait réussir de deux manières, ou par l’intrigue féminine, ou par le santissimo. Girard n’avait pour lui ni l’âge, ni la figure ; c’était un homme de quarante-sept ans, grand, sec, qui semblait exténué ; il avait l’oreille un peu dure, l’air sale et crachait partout (p. 50, 69, 254)[1]. Il avait enseigné longtemps, jusqu’à l’âge de trente-sept ans, et gardait certains goûts de collège. Depuis dix ans, c’est-à-dire depuis la grande peste, il était confesseur de religieuses. Il y avait réussi et avait obtenu sur elles un grand ascendant en leur imposant ce qui semblait le plus contraire au tempérament de ces Provençales, les doctrines et les disciplines de la mort mystique, la passivité absolue, l’oubli parfait de soi-même. Le terrible événement avait aplati les courages, énervé les cœurs, amollis d’une certaine langueur morbide. Les Carmélites de Marseille, sous la conduite de Girard, allaient loin dans ce mysticisme, à leur tête une certaine sœur Rémusat, qui passait pour sainte.

Les Jésuites, malgré ce succès, ou peut-être pour ce succès même, éloignèrent Girard de Marseille ; ils voulurent l’employer à relever leur maison de Toulon. Elle en avait grand besoin. Le magnifique établissement de Colbert, le séminaire des aumôniers de la marine, avait été confié aux jésuites pour

  1. Dans une affaire si discutée, je cite constamment, et surtout un volume in-folio : Procédure du Père Girard et de la Cadière, Aix, 1733. Pour ne pas multiplier les notes, j’indique seulement dans mon texte la page de ce volume.