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grossesses, constater légalement les naissances[1]. La tolérance excuse le Père Apollinaire, pris dans un honteux exorcisme[2]. Cauvrigny, le galant Jésuite, idole des couvents de province, n’expie ses aventures que par un rappel à Paris, c’est-à-dire un avancement.

Autre ne fut la punition du fameux jésuite Girard ; il mérita la corde et fut comblé d’honneur, mourut en odeur de sainteté. C’est l’affaire la plus curieuse du siècle. Elle fait toucher au doigt la méthode du temps, le mélange grossier des machines les plus opposées. Les suavités dangereuses du Cantique des cantiques étaient, comme toujours, la préface. On continuait par Marie Alacoque, par le mariage des cœurs sanglants, assaisonné des morbides douceurs de Molinos. Girard y ajouta le souffle diabolique et les terreurs de l’ensorcellement. Il fut le diable et il fut l’exorciste. Enfin, chose terrible, l’infortunée qu’il immola barbarement, loin d’obtenir justice, fut poursuivie à mort. Elle disparut, probablement enfermée par lettre de cachet, et plongée vivante au sépulcre.

  1. Exemple. Le noble chapitre des chanoines de Pignan, qui avait l’honneur d’être représenté aux États de Provence, ne tenait pas moins fièrement à la possession publique des religieuses du pays. Ils étaient seize chanoines. La prévôté, en une seule année, reçut des nonnes seize déclarations de grossesse (Histoire manuscrite de Besse, par M. Renoux, communiquée par M. Th.). Cette publicité avait cela de bon que le crime monastique, l’infanticide, dut être moins commun. Les religieuses, soumises à ce qu’elles considéraient comme une charge de leur état, au prix d’une petite honte, étaient humaines et bonnes mères. Elles sauvaient du moins leurs enfants. Celles de Pignan les mettaient en nourrice chez les paysans, qui les adoptaient, s’en servaient, les élevaient avec les leurs. Ainsi nombre d’agriculteurs sont connus aujourd’hui même pour enfants de la noblesse ecclésiastique de Provence.
  2. Garinet, 344.