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On croit connaître le dix-huitième siècle, et l’on n’a jamais vu une chose essentielle qui le caractérise.

Plus sa surface, ses couches supérieures, furent civilisées, éclairées, inondées de lumière, plus hermétiquement se ferma au-dessous la vaste région du monde ecclésiastique, du couvent, des femmes crédules, maladives et prêtes à tout croire. En attendant Cagliostro, Mesmer et les magnétiseurs qui viendront vers la fin du siècle, nombre de prêtres exploitent la défunte sorcellerie. Ils ne parlent que d’ensorcellements, en répandent la peur, et se chargent de chasser les diables par des exorcismes indécents. Plusieurs font les sorciers, sachant bien qu’ils y risquent peu, qu’on ne brûlera plus désormais. Ils se sentent gardés par la douceur du temps, par la tolérance que prêchent leurs ennemis les philosophes, par la légèreté des grands rieurs, qui croient tout fini, si l’on rit. Or, c’est justement parce qu’on rit que ces ténébreux machinistes vont leur chemin et craignent peu. L’esprit nouveau, c’est celui du Régent, sceptique et débonnaire. Il éclate aux Lettres persanes, il éclate partout dans le tout-puissant journaliste qui remplit le siècle, Voltaire. Si le sang humain coule, tout son cœur se soulève. Pour tout le reste, il rit. Peu à peu la maxime du public mondain paraît être : « Ne rien punir, et rire de tout. »

La tolérance permet au cardinal Tencin d’être publiquement le mari de sa sœur. La tolérance assure les maîtres des couvents dans une possession paisible des religieuses, jusqu’à déclarer les