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Louviers. Il ne daignait plus revenir. La puissance des songes était finie en elle, les sens dépravés, mais éteints. D’autant plus revint-elle au désir du suicide. Un geôlier lui avait donné une drogue pour détruire les rats du cachot. Elle allait l’avaler, un ange l’arrêta (un ange ou un démon ?) qui la réservait pour le crime.

Tombée dès lors à l’état le plus vil, à un indicible néant de lâcheté, de servilité, elle signa des listes interminables de crimes qu’elle n’avait pas faits. Valait-elle la peine qu’on la brûlât ? Plusieurs y renonçaient. L’implacable pénitencier seul y pensait encore. Il offrit de l’argent à un sorcier d’Évreux qu’on tenait en prison s’il voulait témoigner pour faire mourir Madeleine (p. 68).

Mais on pouvait désormais se servir d’elle pour un bien autre usage, en faire un faux témoin, un instrument de calomnie. Toutes les fois qu’on voulait perdre un homme, on la traînait à Louviers, à Évreux. Ombre maudite d’une morte qui ne vivait plus que pour faire des morts. On l’amena ainsi pour tuer de sa langue un pauvre homme, nommé Duval. Le pénitencier lui dicta, elle répéta docilement ; il lui dit à quel signe elle reconnaîtrait Duval qu’elle n’avait jamais vu. Elle le reconnut et dit l’avoir vu au sabbat. Par elle, il fut brûlé !

Elle avoue cet horrible crime, et frémit de penser qu’elle en répondra devant Dieu. Elle tomba dans un tel mépris, qu’on ne daigna plus la garder. Les portes restaient grandes ouvertes ; parfois elle en avait les clefs. Où aurait-elle été, devenue un objet d’horreur ? Le monde, dès lors, la repoussait,