Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

table de l’Inquisition, il y eût un bon guide-âne qui révélât au juge, simple et peu expérimenté, les ruses du vieil Ennemi, les moyens de les déjouer, la tactique habile et profonde dont le grand Sprenger avait si heureusement fait usage dans ses campagnes du Rhin. Dans cette vue, le Malleus, qu’on devait porter dans la poche, fut imprimé généralement dans un format rare alors, le petit in-dix-huit. Il n’eût pas été séant qu’à l’audience, embarrassé, le juge ouvrit sur la table un in-folio. Il pouvait, sans affectation, regarder du coin de l’œil, et, sous la table, fouiller son manuel de sottise.


Le Malleus, comme tous les livres de ce genre, contient un singulier aveu, c’est que le Diable gagne du terrain, c’est-à-dire que Dieu en perd ; que le genre humain, sauvé par Jésus, devient la conquête du Diable. Celui-ci, trop visiblement, avance de légende en légende. Que de chemin il a fait depuis les temps de l’Évangile, où il était trop heureux de se loger dans des pourceaux, jusqu’à l’époque de Dante, où, théologien et juriste, il argumente avec les saints, plaide, et, pour conclusion d’un syllogisme vainqueur, emportant l’âme disputée, dit avec un rire triomphant : « Tu ne savais pas que j’étais logicien ! »

Aux premiers temps du Moyen-âge, il attend encore l’agonie pour prendre l’âme et l’emporter. Sainte Hildegarde (vers 1100) croit qu’il ne peut pas entrer dans le corps d’un homme vivant, autrement les membres se disperseraient ; c’est l’ombre et la fumée