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dit comme lui. Tous applaudissent au procès ; tous sont émus, frémissants, impatients de l’exécution. De pendus on en voit assez. Mais le sorcier et la sorcière, ce sera une curieuse fête de voir comment ces deux fagots pétilleront dans la flamme.

Le juge a le peuple pour lui. Il n’est pas embarrassé. Avec le Directorium, il suffirait de trois témoins. Comment n’a-t-on pas trois témoins, surtout pour témoigner le faux ? Dans toute ville médisante, dans tout village envieux, plein de haines de voisins, les témoins abondent. Au reste, le Directorium est un livre suranné, vieux d’un siècle. Au quinzième, siècle de lumière, tout est perfectionné. Si l’on n’a pas de témoins, il suffit de la voix publique, du cri général[1].


Cri sincère, cri de la peur, cri lamentable des victimes, des pauvres ensorcelés. Sprenger en est fort touché. Ne croyez pas que ce soit de ces scolastiques insensibles, hommes de sèche abstraction. Il a un cœur. C’est justement pour cela qu’il tue si facilement. Il est pitoyable, plein de charité. Il a pitié de cette femme éplorée, naguère enceinte, dont la sorcière étouffa l’enfant d’un regard. Il a pitié du pauvre homme dont elle a fait grêler le champ. Il a pitié du mari qui, n’étant nullement sorcier, voit

  1. Faustin Hélie, dans son savant et lumineux Traité de l’instruction criminelle (t. I, 398), a parfaitement expliqué comment Innocent III, vers 1200, supprime les garanties de l’Accusation, jusque-là nécessaires (surtout la peine de la calomnie que pouvait encourir l’accusateur). On y substitue les procédures ténébreuses, la Dénonciation, l’Inquisition. Voir dans Soldan la légèreté terrible des dernières procédures. On versa le sang comme l’eau.