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donner le change, l’astucieux Prince de l’air ; mais il y aura du mal, il a affaire à un docteur plus malin que le Malin.

J’aurais voulu voir en face ce type admirable du juge et les gens qu’on lui amenait. Des créatures que Dieu prendrait dans deux globes différents ne seraient pas plus opposées, plus étrangères l’une à l’autre, plus dépourvues de langue commune. La vieille, squelette déguenillé à l’œil flamboyant de malice, trois fois recuite au feu d’enfer ; le sinistre solitaire, berger de la forêt Noire, ou des hauts déserts des Alpes ; voilà les sauvages qu’on présente à l’œil terne du savantasse, au jugement du scolastique.

Ils ne le feront pas, du reste, suer longtemps en son lit de justice. Sans torture, ils diront tout. La torture viendra, mais après, pour complément et ornement du procès-verbal. Ils expliquent et content par ordre tout ce qu’ils ont fait. Le Diable est l’intime ami du berger, et il couche avec la sorcière. Elle en sourit, elle en triomphe. Elle jouit visiblement de la terreur de l’assemblée.

Voilà une vieille bien folle ; le berger ne l’est pas moins. Sots ? Ni l’un ni l’autre. Loin de là, ils sont affinés, subtils, entendent pousser l’herbe et voient à travers les murs. Ce qu’ils voient le mieux encore, ce sont les monumentales oreilles d’une qui ombragent le bonnet du docteur. C’est surtout la peur qu’il a d’eux. Car il a beau faire le brave, il tremble. Lui-même avoue que le prêtre, s’il n’y prend garde, en conjurant le démon, le décide parfois à changer de gîte, à passer dans le prêtre même, trouvant plus flatteur de loger dans un corps consacré à Dieu. Qui