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semble, souvent malicieux, mêlé hardiment des choses par lesquelles on croirait le moins que l’amour pût être éveillé. Elles allèrent ainsi très loin, sans qu’il aperçût, l’aveugle, qu’elles faisaient de lui leur jouet.

Ces philtres étaient fort différents. Plusieurs étaient d’excitation, et devaient troubler les sens, comme ces stimulants dont abusent tant les Orientaux. D’autres étaient de dangereux (et souvent perfides) breuvages d’illusion qui pouvaient livrer la personne sans la volonté. Certains enfin furent des épreuves où l’on défiait la passion, où l’on voulait voir jusqu’où le désir avide pourrait transposer les sens, leur faire accepter, comme faveur suprême et comme communion, les choses les moins agréables qui viendraient de l’objet aimé.

La construction si grossière des châteaux, tout en grandes salles, livrait la vie intérieure. À peine, assez tard, fit-on, pour se recueillir et dire les prières, un cabinet, le retrait, dans quelque tourelle. La dame était aisément observée. À certains jours, guettés, choisis, l’audacieux, conseillé par sa sorcière, pouvait faire son coup, modifier la boisson, y mêler le philtre.

Chose pourtant rare et périlleuse. Ce qui était plus facile, c’était de voler à la Dame telles choses qui lui échappaient, qu’elle négligeait elle-même. On ramassait précieusement un fragment d’ongle imperceptible. On recueillait avec respect ce que laissait tomber son peigne, un ou deux de ses beaux cheveux. On les portait à la sorcière. Celle-ci exigeait souvent (comme font nos somnambules) tel objet fort