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coins obscurs où la femme va loger ses rêves.

Maintenant, elle possède. Elle a quelque chose à elle. — La quenouille, le lit, le coffre, c’est tout, dit la vieille chanson[1]. — La table s’y ajoutera, le banc, ou deux escabeaux… Pauvre maison bien dénuée ! mais elle est meublée d’une âme. Le feu l’égaye ; le buis bénit protège le lit, et l’on y ajoute parfois un joli bouquet de verveine. La dame de ce palais file, assise sur sa porte, en surveillant quelques brebis. On n’est pas encore assez riche pour avoir une vache, mais cela viendra à la longue, si Dieu bénit la maison. La forêt, un peu de pâture, des abeilles sur la lande, voilà la vie. On cultive peu de blé encore, n’ayant nulle sécurité pour une récolte éloignée. Cette vie, très indigente, est moins dure pourtant pour la femme ; elle n’est pas brisée, enlaidie, comme elle le sera au temps de la grande agriculture. Elle a plus de loisir aussi. Ne la jugez pas du tout par la littérature grossière des Noëls et des fabliaux, le sot rire et la licence des contes graveleux qu’on fera plus tard. — Elle est seule. Point de voisine. La mauvaise et malsaine vie des noires petites villes fermées, l’espionnage mutuel, le commérage misérable, dangereux, n’a pas commencé. Point de vieille qui vienne le soir, quand l’étroite rue devient sombre, tenter la jeune, lui dire qu’on se meurt d’amour pour elle. Celle-ci n’a d’ami

  1. Trois pas du côté du banc,
    Et trois pas du côté du lit.
    Trois pas du côté du coffre,
    Et trois pas. Revenez ici.

    (Vieille chanson du Maître de danse.)