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POURQUOI LE MOYEN-ÂGE DÉSESPÉRA

Mais on ne le laisse pas là. Il est cité, et il doit répondre en cour impériale. Il va, spectre du vieux monde, que personne ne connaît plus. « Qu’est-ce que c’est ? disent les jeunes. Quoi ! il n’est seigneur, ni serf ! Mais alors il n’est donc rien ? »

« Qui suis-je ?… ; Je suis celui qui bâtit la première tour, celui qui vous défendit, celui qui, laissant la tour, alla bravement au pont attendre les païens Northmans… Bien plus, je barrai la rivière, je cultivai l’alluvion, j’ai créé la terre elle-même, comme Dieu qui la tira des eaux… Cette terre, qui m’en chassera ?

» Non, mon ami, dit le voisin, on ne te chassera pas. Tu la cultiveras, cette terre… mais autrement que tu ne crois… Rappelle-toi, mon bonhomme, qu’étourdiment, jeune encore (il y a cinquante ans de cela), tu épousas Jacqueline, petite serve de mon père… Rappelles-toi la maxime : « Qui monte ma poule est mon coq. » — Tu es de mon poulailler. Déceins-toi, jette l’épée… Dès ce jour, tu es mon serf. »

Ici, rien n’est d’invention. Cette épouvantable histoire revient sans cesse au Moyen-âge. Oh ! de quel glaive il fut percé ! J’ai abrégé, j’ai supprimé, car chaque fois qu’on s’y reporte, le même acier, la même pointe aiguë traverse le cœur.

Il en fut un, qui, sous un outrage si grand, entra dans une telle fureur, qu’il ne trouva pas un seul mot. Ce fut comme Roland trahi. Tout son sang lui remonta, lui arriva à la gorge… Ses yeux flamboyaient, sa bouche muette, effroyablement éloquente, fit pâlir toute l’assemblée… Ils reculèrent…