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de l’homme. Ils ont leur droit[1]. Ils ont leurs fêtes. Si, dans l’immense bonté de Dieu, il y a place pour les plus petits, s’il semble avoir pour eux une préférence de pitié, « pourquoi, dit le peuple des champs, pourquoi mon âne n’aurait-il pas entrée à l’église ? Il a des défauts, sans doute, et ne me ressemble que plus. Il est rude travailleur, mais il a la tête dure ; il est indocile, obstiné, entêté, enfin, c’est tout comme moi. »

De là les fêtes admirables, les plus belles du moyen âge, des Innocents, des Fous, de l’Âne. C’est le peuple même d’alors, qui, dans l’âne, traîne son image, se présente devant l’autel, laid, risible, humilié ! Touchant spectacle ! Amené par Balaam, il entre solennellement entre la Sibylle et Virgile[2], il entre pour témoigner. S’il regimba jadis contre Balaam, c’est qu’il voyait devant lui le glaive de l’ancienne loi. Mais ici la Loi est finie, et le monde de la Grâce semble s’ouvrir à deux battants pour les moindres, pour les simples. Le peuple innocemment le croit. De là la chanson sublime où il disait à l’âne, comme il se fût dit à lui-même :

À genoux, et dis Amen !
Assez mangé d’herbe et de foin !
Laisse les vieilles choses, et va !
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  1. V. J. Grimm, Rechts alterthümer, et mes Origines du droit.
  2. C’est le rituel de Rouen. Voy. Ducange, verbo Festum ; Carpentier, verbo Kalendæ, et Martène, III, 110. La Sibylle était couronnée, suivie des juifs et des gentils, de Moïse, des prophètes, de Nabuchodonosor, etc. De très bonne heure, et de siècle en siècle, du septième au seizième siècle, l’Église essaye de proscrire les grandes fêtes populaires de l’Âne, des Innocents, des Enfants, des Fous. Elle n’y réussit pas avant l’avènement de l’esprit moderne.