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Est-il bien sûr, comme on l’a tant répété, que les anciens dieux fussent finis, eux-mêmes ennuyés, las de vivre ! qu’ils aient, de découragement, donné presque leur démission ? que le christianisme n’ait eu qu’à souffler sur ces vaines ombres ?

On montre ces dieux dans Rome, on les montre dans le Capitole, où ils n’ont été admis que par une mort préalable, je veux dire en abdiquant ce qu’ils avaient de sève locale, en reniant leur patrie, en cessant d’être les génies représentant les nations. Pour les recevoir, il est vrai, Rome avait pratiqué sur eux une sévère opération, les avait énervés, pâlis. Ces grands dieux centralisés étaient devenus, dans leur vie officielle, de tristes fonctionnaires de l’empire romain. Mais cette aristocratie de l’Olympe, en sa décadence, n’avait nullement entraîné la foule des dieux indigènes, la populace des dieux encore en possession de l’immensité des campagnes, des bois, des monts, des fontaines, confondus intimement avec la vie de la contrée. Ces dieux logés au cœur des chênes, dans les eaux fuyantes et profondes, ne pouvaient en être expulsés.

Et qui dit cela ? c’est l’Église. Elle se contredit rudement. Quand elle a proclamé leur mort, elle s’indigne de leur vie de siècle en siècle, par la voix menaçante de ses conciles[1], elle leur intime de mourir… Eh quoi ! ils sont donc vivants ?

« Ils sont des démons… » — Donc, ils vivent. Ne pouvant en venir à bout, on laisse le peuple innocent les habiller, les déguiser. Par la légende, il les

  1. V. Mansi, Baluze ; Conc. d’Arles, 442 ; de Tours, 567 ; de Leptines, 743 ; les Capitulaires, etc. Gerson même, vers 1400.