Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 7.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’ancien tribunal, en 1793, tout en prodiguant la mort, sérieux par le péril et la grandeur de la crise, motivait souvent ses jugements d’une manière digne et noble. Par l’organe du président, du chef du jury, il adressait parfois des paroles honorables aux condamnés. Les juges, hommes convaincus, même dans leurs adversaires qu’ils envoyaient à la mort, respectaient la conviction. Il suffit de citer les considérants d’Antonelle dans son verdict contre le Bordelais Ducournaud, l’un des brillants enfants


    lumière la plus complète, de motiver solennellement les déclarations du jury ; il sentait que la Terreur, pour être efficace et forte, avait besoin de montrer à tous qu’elle était clairvoyante, de convaincre surtout les patriotes, d’assurer leur conscience. S’ils en venaient à douter de la justice nationale, tout était perdu. Au défaut d’une publicité spéciale, habile, que le gouvernement eût dû organiser lui-même et étendre jusqu’au fond du dernier hameau, le jury de 1793, peu satisfait de la sécheresse du Bulletin officiel, fit parfois imprimer ses considérants. La persécution commença ; les rois d’alors ne voulaient point de publicité ; ils firent rayer Antonelle de la liste des Jacobins comme ex-noble. Le Comité de salut public défendit au jury de motiver ses décisions. (Registres du Comité, 21 pluviôse.) Défense fort arbitraire, brutalement signifiée, prétendant « qu’on ne pouvait supposer aux jurés qui motivaient un but innocent ». Antonelle promit de ne plus motiver à l’avenir, mais publia un spécimen des motifs déjà prononcés : Déclarations motivées d’Antonelle dans diverses affaires. (Collection Dugast-Matifeux.) Cette brochure, rare et précieuse, mériterait d’être réimprimée. Elle est de nature à changer singulièrement l’opinion sur le tribunal de 1793. Il y a plusieurs acquittements motivés avec une équité éclairée et humaine. — Le tribunal révolutionnaire sera un jour l’objet d’une histoire spéciale. On y verra que beaucoup de condamnations furent l’application très dure, mais très littérale, des lois. M. de Malesherbes périt pour avoir envoyé de l’argent aux émigrés, ce qui entraînait la peine de mort. Madame Elisabeth, si l’on doit croire le royaliste abbé Guillon, avait fortement préparé la guerre civile à Lyon en 1790 ; elle disait : « Il faut la guerre civile. » (Guillon, Lyon, I, 67.) — Ce qu’on a dit des prisons, spécialement du Temple, mérite aussi un sérieux examen. Je lis dans les registres de la Commune (Archives de la Seine) qu’un horloger-mécanicien réclame 1 000 francs pour avoir réparé la mécanique d’une grande cage dorée où chantaient des oiseaux automates et dont Simon amusait le petit Capet. Un enfant pour qui on faisait cette énorme dépense était-il aussi maltraité qu’on l’a prétendu ?