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fait mettre sur la sellette deux cents représentants devant la Convention , puis la Convention tout entière devant l’opinion. Telle était la pente naturelle, du moment qu’on entrait dans l’accusation de l’année 1793.

Elle finissait, la terrible, l’héroïque, la sanglante année, sur qui a crevé la débâcle entassée depuis mille ans. Tous ces maux lui venaient de loin. L’héroïsme vint d’elle-même.

1794 devait être pénétré de reconnaissance pour son père 1793, qui l’avait fait être et vivre, qui,

    par Couthon. Lebon, après Thermidor, fut poursuivi aussi cruellement que Robespierre avait poursuivi les dantonistes, et avec aussi peu de preuves. On lui reprocha d’avoir violé une femme qui n’existait pas, d’avoir volé un collier de perles qu’on retrouva à sa place, sous les scellés mêmes. On ne tint aucun compte des ordres terribles qu’il avait reçus, à l’entrée de la campagne, de Carnot, Billaud et Barère, qui lui indiquaient d’avance le plan concerté entre les Autrichiens et les traîtres qui étaient pour eux dans chaque place, et qui, effectivement, leur livrèrent Landrecies. Lebon s’enferma dans Cambrai, et là seul (toute la ville était royaliste) il arrêta le cours de la trahison. Les prisonniers avouèrent que c’était lui qui avait tout fait manquer. Maintenant qu’était cet homme, pour remplir ce rôle étonnant ? C’était un jeune oratorien, prêtre marié, professeur de quelque talent, d’un caractère faible et doux. Il avait été Girondin, puis robespierriste. Son isolement, son péril extrême, lui troublèrent l’esprit. Il y avait eu beaucoup de fous dans sa famille ; lui-même, il eut quelques moments singuliers d’excentricité. Un jour, au théâtre, à une représentation des Gracques, un passage lui semblant aristocratique, il sauta sur le théâtre le sabre à la main et mit les Romains en fuite, et comme les spectateurs riaient, il menaça de les faire tous arrêter. — Il n’était pas sans générosité ; car il sauva malgré lui le général Foy, alors fort jeune, très violent, et qui faisait tout ce qu’il fallait pour forcer Lebon à le faire périr. — Dans la dictature terrible que lui imposait le péril, dépassa-t-il la mesure ? C’est probable. Mais comment le savoir ? Ses ennemis, avant de le mettre en jugement, s’emparèrent de tous ses papiers ; ils le firent juger par des émigrés, par ceux qu’il avait empêchés d’entrer en France avec l’ennemi ! — Dans sa dictature de quatre mois, pour lui, sa famille, ses secrétaires et employés, frais de bureaux, de voyages à Paris, etc., il dépensa 29,000 francs. — Son fils a publié ses lettres, vraiment admirables. — Par quelle fatalité a-t-on confondu un tel homme avec Carrier ?