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auraient reculé d’horreur ; ils disaient : « Qui a fait nos actes ? Nous n’en savons rien[1] !… »

Ces malheureux trouvaient au retour la blême, l’impitoyable figure d’un juge qui dans chaque discours posait, comme reproche et menace, l’équilibre moral et civique, la ligne fine, précise, à suivre sous peine de mort.

Représentez-vous un homme qui, dans une affreuse tempête, au violent passage des mers, tendrait de Douvres à Calais un fil délié, en menaçant de la mort ceux qui ne suivraient pas le fil.

S’il n’eût été qu’un politique, la terreur eût été moins grande, on eût pu s’entendre encore. Mais il était surtout et avant tout moraliste. Sa sévérité naturelle, sa rapide interprétation traduisait tout acte léger, tout fait d’immoralité, de simple indélicatesse, par « corruption, vénalité, trahison, entente avec l’étranger ». Plusieurs des représentants se calomniaient eux-mêmes, il est vrai, par leur conduite. Prodiguant leur sang, ils prodiguaient tout. Bourbotte, dînant à Tours, s’indignait de n’avoir que six bougies sur table. Il allait à quatre chevaux. Merlin vivait en général, portait moustache. Robespierre y voyait distinctement l’avènement futur du pouvoir militaire. Autre crime

  1. C’est, en propres termes, ce que Baudot disait à mon ami Edgar Quinet. Celui-ci, jeune alors, allait voir l’illustre vieillard à la campagne, dans une grande maison déserte, quasi démeublée, et l’homme des anciens jours lui parlait volontiers des temps héroïques, n’oubliant jamais qu’une chose, la part qu’il avait eue à tout cela, et comme il avait contribué à sauver la France qui l’oubliait, — qui s’oubliait elle-même.