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l’agent de Robespierre agissait contre Carrier. Goullin surtout avait à craindre ; comme colon de Saint-Domingue, on le disait noble.

Mandés à Paris, Goullin et Chaux cherchèrent abri, dans cet orage, sous le patronage de Robespierre. Ils mirent à sa disposition tout ce qu’ils avaient contre Carrier ; c’était le 9 mars. Le 13, il devait faire arrêter les amis de Carrier, Hébert et Ronsin. Il reçut avec bonheur ce secours inespéré que lui envoyait la fortune, les accueillit, s’épanouit jusqu’à dire : « Rien d’étonnant si l’on vous persécute ; vous êtes de vrais patriotes. »

Carrier prêtait singulièrement. Il en disait contre lui-même encore plus que ses ennemis. Aux Jacobins, par exemple, comme on parlait de cimetières, prenant brusquement la parole, comme pour une chose personnelle : « Ah ! dit-il, il y en avait trop, je n’ai pu enterrer tout ! » Loin d’atténuer l’effet de sa sinistre personne, il l’augmentait à plaisir, se posant lugubre et tragique, comme l’homme de la fatalité, l’exterminateur, le fléau de Dieu. En quittant Nantes, il disait à une femme qu’il aimait : « Sois tranquille, ma bonne amie ; Nantes n’oubliera pas le nom de Carrier… Par le fer ou par le feu, elle périra tôt ou tard. »

Il se croyait en sûreté, imaginant qu’on ne l’attaquerait que pour exagération, c’est-à-dire que les accusateurs eux-mêmes s’avoueraient modérés et moins violents patriotes. Il ne s’attendait nullement au coup qui le transperça. Ses hommes, Lam-