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gnées de mains, les larmes des mères : ce fut tout le mouvement.

Les choses se passèrent autrement aux Halles. Il fut résolu entre ceux qui partaient le lendemain et leurs parents, leurs amis, qui allaient les perdre, que le soir du dimanche (10 mars), ils mangeraient encore ensemble, rompraient le pain encore. Sombre départ de 1793 ! Pour revenir quand ? Jamais. — Ils allaient commencer cette course de Juif errant qui les a portés par toute la terre et n’a trouvé son repos qu’aux neiges de la Russie. Peu, bien peu ont eu le malheur d’atteindre 1815, pour rentrer chez eux, mettre bas l’uniforme, ruines d’hommes courbés, défaits, mutilés, travailler du bras qui restait, voir ici l’armée des Cosaques et la joie de l’émigré !

Ces pauvres gens firent d’eux-mêmes leur repas d’adieu, un vaste repas civique où siégeaient des milliers d’hommes sous les piliers des Halles. Chacun descendait ses vivres, ceux du moins qui en avaient ; qui avait du pain apportait du pain, et qui n’avait rien mangeait tout de même. Celui qui avait quelque argent régalait et payait le vin. Pourquoi aurait-on ménagé dans cette circonstance ? Y aurait-il un lendemain ? L’ennemi était en France, disait-on, on le voyait déjà à Valenciennes, tout à l’heure devant Paris… Mais ce qui troublait les têtes encore plus, c’étaient les récits terribles, exagérés certainement qui circulaient dans le peuple sur la catastrophe de nos amis de Liège, qui s’étaient perdus pour nous. On croyait que la ville avait été saccagée de fond