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brave homme. » Et à son tour il se tut quelques moments, se reportant sans doute à sa pensée favorite, la marine, à cette glorieuse époque de son règne, déjà éloignée, où ses vaisseaux étaient vainqueurs sur toutes les mers, où lui-même donnait ses instructions à La Peyrouse, dessinait le port de Cherbourg. Ah ! s’il y eut jamais un contraste, c’était celui-ci sans doute, le souvenir de ce jour où le roi, jeune, puissant, florissant de vie, dans l’éblouissant costume d’amiral (rouge et or), sous la fumée de cent canons, traversa la rade du grand port créée par lui, visita la fameuse digue où la France avait vaincu (plus que l’Anglais) l’Océan.

Qui l’eût reconnu au jour du 11 décembre, dans cette image de pitié qui, tout ce long jour d’hiver, en son triste vêtement brun, naviguait, pour ainsi dire, entre la pluie qui tombait et la boue des boulevards ?… Chose dure ! et triste à dire, les détails de cette misère, loin d’augmenter l’intérêt, l’auraient neutralisé plutôt. La sienne n’était rehaussée d’aucun effet dramatique. Ce n’était nullement le spectre livide, le sombre Ugolin que l’imagination populaire cherche dans un prisonnier. C’était l’homme gras encore, mais qui déjà a maigri, d’une graisse pâle et malade qui ne remplit plus les joues et pend sur le col plissé. Sa barbe était de trois jours ; on lui avait ôté l’avant-veille les rasoirs et les ciseaux ; ni courte ni longue, elle n’était qu’inculte et sale, une végétation fortuite, inégale, de vilains poils blonds, rendaient toute