Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gardes nationaux en relevait les postes intérieurs et extérieurs. Ces gens arrivaient, la plupart, fort contraires au roi, pleins de la passion du temps, l’outrage à la bouche. Comment sortiraient-ils le lendemain ? Tout autres, entièrement changés. Beaucoup arrivaient Jacobins et revenaient royalistes.

Voici la conversation qui s’établissait le soir où l’homme descendait de garde, entre lui et sa femme, impatiente et curieuse : « Eh bien, as-tu vu le roi ? — Oui, disait l’homme tout triste. — Mais comment est-il ? et que faisait-il ? — Ma foi ! je ne peux pas dire autrement, le tyran a l’air d’un brave homme. Je l’aurais pris, si je n’avais été prévenu, pour un bon rentier du Marais. Il passe le temps, quand il a fait ses prières, à étudier avec son fils, et tout exprès il s’est remis au latin… — Et encore ? — Eh bien, encore, il s’occupe à chercher le mot des énigmes du Mercure pour désennuyer sa femme… — Et encore ? — Ma foi, la nuit il soigne son valet de chambre ; il s’est levé en chemise pour lui donner la tisane… » Qu’on juge de l’effet de ces détails naïfs ; la femme éclatait en sanglots, et souvent le mari lui-même laissait échapper des larmes.

Ce qui frappait le plus les gardes nationaux et leur faisait croire que le roi pouvait fort bien être innocent, c’était la profondeur et le calme de son sommeil. Tous les jours après le dîner, il s’endormait pour deux heures, au milieu de sa famille, parmi les allants et les venants. Ce sommeil était celui