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ivres, et du sang aux mains. Elle tombe, s’évanouit. Elle revient, et c’est pour s’évanouir encore. Elle ne savait pas que beaucoup de gens désiraient passionnément la sauver. Les juges lui étaient favorables ; dans ceux mêmes qui la rudoyaient, jusque dans les massacreurs, on lui avait fait des amis. Tout ce qu’il eût fallu, c’eût été qu’elle pût parler un peu[1], qu’on tirât de sa bouche un mot qu’on pût interpréter pour motiver son salut. On dit qu’elle répondit assez bien sur le 10 août ; mais quand on lui demanda de jurer haine à la royauté, haine au roi, haine à la reine ! son cœur se serra tellement qu’elle ne put plus parler ; elle perdit contenance, mit ses deux mains devant ses yeux, se détourna vers la porte. Au moment où elle la franchit, elle y trouva un certain Truchon, membre, je crois, de la Commune, qui s’empara d’elle, et, d’autre part, un massacreur, le grand Nicolas, la saisit aussi. Tous d’eux et d’autres encore avaient promis de la sauver. On dit même que plusieurs de ses gens s’étaient mêlés aux égorgeurs et l’attendaient dans la rue. « Crie : « Vive la nation ! » disaient-ils, « et tu n’auras pas de mal. »

À ce moment, elle aperçut au coin de la petite rue Saint-Antoine quelque chose d’effroyable, une masse molle et sanglante, sur laquelle un des massacreurs marchait des deux pieds avec ses souliers ferrés.

  1. Peltier ne manque pas de lui faire une suite de belles réponses héroïques, du vrai Corneille. Rien de plus invraisemblable d’après tout ce que nous savons de cette femme faible et timide, incapable évidemment de soutenir un pareil rôle.