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Barnave, dans ce lieu si grave, profitant de la situation, de l’émotion de la reine, lui donna, du fond du cœur, des conseils pour la sauver. Il lui fit toucher au doigt les fautes du parti royaliste : « Ah ! Madame, comme votre cause a été mal défendue ! Quelle ignorance de l’esprit du temps et du génie de la France ! Bien des fois, j’ai été au moment d’aller m’offrir, de me dévouer à vous ?… — Mais enfin, Monsieur, quels sont donc les moyens que vous auriez conseillés ? — Un seul, Madame : vous faire aimer du peuple. — Hélas ! comment l’aurais-je acquis, cet amour ? tout travaillait à me l’ôter. — Eh ! Madame, si, moi, inconnu, sorti de mon obscurité, j’ai obtenu la popularité, combien vous était-il aisé, si vous faisiez le moindre effort, de la garder, de la reconquérir[1] !… Le souper interrompit.

Après le souper, Pétion fit une chose très courageuse, très humaine, qui démentit singulièrement la

  1. Barnave, violemment attaqué pour ce tête-à-tête, s’en justifie tardivement, dans son Introduction à la Révolution, écrite en 1792 ou 1793, en son plus extrême danger. Il allègue que, de toute façon, le temps aurait manqué ; ce qui n’est pas exact, du moins pour cette journée ; il dit lui-même, dans son rapport à l’Assemblée, que, « n’ayant gardé que les gardes à cheval, la marche fut très rapide de Dormans à Meaux ». D’où il suit qu’on dut arriver à Meaux de bonne heure et s’y reposer. — Il dit encore (Œuvres, t. I, p. 132) : « M. Pétion me recommanda spécialement de dire que, pendant toute la route, nous ne nous étions pas quittés. » Je le crois bien.

    Tous deux avaient besoin d’une discrétion mutuelle. Pétion certainement avait vu le roi en particulier, pour lui proposer l’évasion des gardes du corps. Et Barnave, également selon toute probabilité, vit la reine en particulier et lui donna des conseils. Le témoignage de Mme Campan, souvent peu grave, l’est ici beaucoup pour moi, parce qu’il est conforme non seulement à la tradition, mais à la vraisemblance. Il n’est contredit que par Barnave, c’est-à-dire par un accusé, très intéressé à nier, et qui nie sous le couteau.