Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.

auberge voisine, et mangeaient tranquillement le mets du pays, la soupe au fromage. Les bourreaux entrèrent, tout couverts de sang, contant à grand bruit leurs prouesses ; il y en avait un qui montrait un fusil qu’il avait brisé en deux à force de frapper, disait-il, sur la tête des prisonniers. — L’un d’eux : « Il y en a beaucoup de tués ! » — Un autre : « Ils sont tous expédiés. » — Un autre : « Il ne reste qu’une femme enceinte, c’est la Ratapiole… » En réalité, il restait encore onze femmes et deux hommes, tous deux aimés, populaires, le prêtre Nolhac et le portefaix Rey. Le major Peytavin avait expressément demandé, obtenu des massacreurs la vie de Rey et celle de la Ratapiole ; mais il voulait apparemment avoir l’assentiment des chefs, et il leur envoyait cet homme, qui n’osa parler de Rey, mais seulement de la femme. Duprat ne répondant rien, Jourdan comprit sa pensée et dit : « Il faut l’expédier. » Là-dessus, silence. Un autre s’avance, se hasarde à dire : « Et pourtant elle est enceinte. — Enceinte ou non, dit Jourdan, il faut qu’elle y passe. »

Les meurtriers retournèrent, mais ils ne tuèrent ni Rey ni Nolhac. Ils se mirent à tuer des femmes. Trois furent d’abord prises au hasard, une blanchisseuse et deux ouvrières en soie. À mesure qu’elles passaient, elles donnaient leurs bijoux ou on les leur arrachait ; ils étaient remis au geôlier. Une des ouvrières opposa une résistance désespérée : « Personne, disaient-ils, ne fut plus dur à mourir. » Ils rentrèrent ensuite et appelèrent Mme Niel ; elle était déjà avertie