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Une chose suffit pour caractériser cette époque, un mot d’éternelle mémoire. Dans le décret du 28 décembre 1791, qui organise les gardes nationaux volontaires et les engage pour un an, la peine dont on menace ceux qui quitteraient avant l’année, c’est que, « pendant dix ans, ils seront privés de l’honneur d’être soldats ».

Voilà un peuple bien changé. Rien ne l’effrayait plus, avant la Révolution, que le service militaire. J’ai sous les yeux ce triste aveu de Quesnay (Encycl., art. Fermiers, page 537) : « Que les fils de fermiers ont tellement l’horreur de la milice, qu’ils aiment mieux quitter les campagnes, et vont se cacher dans les villes. »

Qu’est devenue maintenant la race timide et servile qui portait la tête si bas, la bête encore à quatre pattes ? Je ne peux plus la trouver. Aujourd’hui, ce sont des hommes.

Il n’y eut jamais un labour d’octobre comme celui de 1791, celui où le laboureur, sérieusement averti par Varennes et par Pilnitz, songea pour la première fois, roula en esprit ses périls et toutes les conquêtes de la Révolution qu’on voulait lui arracher. Son travail, animé d’une indignation guerrière, était déjà pour lui une campagne en esprit. Il labourait en soldat, imprimait à la charrue le pas militaire, et, touchant ses bêtes d’un plus sévère aiguillon, criant à l’une : « Hu ! la Prusse ! » à l’autre : « Va donc, Autriche ! » Le bœuf marchait comme un cheval, le soc allait âpre et rapide, le noir sillon fumait, plein de souffle et plein de vie.