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monarchie, le désir de la sauver, s’étaient alors réfugiés, au milieu de l’abattement général, dans une tête de vingt-huit ans, celle de Barnave. La ligue, si peu homogène, qui avait rallié les quatre cinquièmes du côté gauche, marié deux ennemis, La Fayette et Lameth, détruit presque les Jacobins, « c’était le plan de Barnave ». — Et comment se jeta-t-il dans cette entreprise ? La même lettre dit expressément que ce fut le retour de Varennes, la reconnaissance qu’on lui témoigna, « qui changèrent son cœur ».

Grand changement, en vérité. Barnave ne semblait nullement un homme à se laisser mener par le cœur et l’imagination. Sa suffisance habituelle, sa parole noble, sèche et froide, n’étaient point du tout d’un rêveur. Il ne se piquait aucunement de thèses sentimentales, et donnait plutôt au sens opposé (par exemple, dans l’affaire des noirs). On ne trouve jamais, je crois, dans les discours de Barnave, le mot qui revient si souvent dans tous ceux des hommes de l’époque, depuis Louis XVI jusqu’à Robespierre : « Ma sensibilité, mon cœur. »

On n’en est que plus étonné de le voir, en 1791, si tard dans la Révolution, suivre (dirai-je avec espoir ? ou avec une ardeur désespérée ?) le leurre qui avait pu tromper Mirabeau au début et quand la situation était tout entière. Le plan de Barnave n’était nul autre que celui de Mirabeau : « Arrêter la Révolution, sauver la royauté, gouverner avec la reine. »