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tard, après réflexion, vous expliquerez sans doute à vos avides lecteurs.

Quant à moi, l’homme le moins mystique qui soit au monde, le plus réaliste, le plus éloigné de toute fantaisie et enthousiasme, je crois être déjà en mesure d’affirmer, et je prouverai qu’une nation organisée comme la nôtre constitue un être aussi réel, aussi personnel, aussi doué de volonté et d’intelligence propre, que les individus dont il se compose : et j’ose dire que là est surtout la grande révélation du dix-neuvième siècle. Votre Histoire de la Révolution, faite à ce point de vue, est la meilleure préparation que j’eusse pu souhaiter à mes lecteurs : après avoir vu, dans votre narration, penser, agir, souffrir, combattre l’être collectif, ils seront mieux disposés à comprendre les lois de sa formation, de son développement, de sa vie, de sa pensée et de son action.

Votre deuxième volume est tout entier de création, le récit de la Fédération de 1790 surtout, après tant de récits dignes des almanachs, est trouvé. On sent que là est le nœud et le fort de l’affaire. Après avoir lu ces grands tableaux de l’épopée nationale, on se sent un amour ardent de la patrie, on est fier de s’entendre appeler révolutionnaire.

Votre appréciation des hommes me paraît merveilleuse. Serait-ce parce que d’avance j’abondais dans votre sentiment ?… Mirabeau, Sieyès, Danton, Robespierre, Marat, tous les autres, toisés, mesurés, appréciés ce qu’ils valent. Peut-être pourrait-on regretter que vous n’ayez pas donné plus de place à Mirabeau et à ses discours ; cet homme, après tout, fut le plus magnifique instrument de la Révolution, comme Danton en fut l’âme la plus généreuse. En revanche, peut-être, avez-vous donné trop d’importance aux commencements de Robespierre, car on prévoit déjà que l’accusation contre lui sera terrible.

J’ai toujours cru, et je serais curieux de voir si votre jugement s’accorde avec le mien : que Robespierre, qui, asservi au Contrat social, ce code de toutes nos mystifications représentatives et parlementaires, jugeait certainement la démocratie impossible en France, qui, enfin, en 1794, loin de réclamer l’application de la Constitution de 1793, voulait encore une plus grande concentration du pouvoir, ainsi que l’avouent et le prouvent ses apologistes Buchez et Lebas ; j’ai toujours cru, dis-je, que cet homme-là n’eût été nullement embarrassé, s’il eût réussi en thermidor, après avoir exercé la dictature,