Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la nation ; l’Assemblée, c’est la nation ; elle serait juge et partie : donc elle ne peut juger, » etc.

La séance était arrangée d’avance pour deux discours. Les rôles avaient été partagés entre Salles et Barnave : l’un, homme de cœur et chaleureux, devait défendre Louis XVI, l’homme, l’humanité ; l’autre, le froid et noble parleur, Barnave, devait prendre la question au point de vue législatif et politique.

Salles, avec une insinuation douce et hardie, ne craignit pas de s’adresser aux secrets sentiments de l’Assemblée. Le roi a protesté, il est vrai, il a dit que la constitution « était inexécutable ». Mais nous l’avons souvent dit nous-mêmes, elle est difficile à exécuter, au moins dans les commencements. L’Assemblée a pu contribuer à l’erreur du roi ; elle a été obligée, pour le bien de la chose, de sortir souvent de son rôle d’Assemblée, de juger, de gouverner, etc. — Ainsi l’avocat était si sûr d’être écouté favorablement qu’il cherchait une excuse au coupable dans les fautes mêmes du juge, dans les reproches que l’Assemblée se faisait secrètement, dans le peu de foi qu’elle avait maintenant, blasée et finie, à son œuvre, à ses propres actes.

Barnave s’éleva très haut. Sa froideur ordinaire, froideur feinte ce jour-là, et qui n’était que dans la forme, fit valoir encore le fond, intimement passionné, qui perçait partout, comme en Asie ces terres sèches et froides qui, par places, n’en sont pas moins crevées de sources de feu. On sentait