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ecclésiastiques. L’Assemblée n’osa encore prendre un parti ; elle se contenta de suspendre l’émission des vœux, de fermer ainsi l’entrée aux nouvelles victimes. Combien elle se serait hâtée d’ouvrir les portes aux tristes habitants des cloîtres, si elle eût su l’état d’ennui désespéré où ils étaient parvenus ! J’ai dit ailleurs comment toute culture, toute vie avait été peu à peu retirée aux pauvres religieuses, comment les défiances du Clergé leur ôtaient tout aliment. Elles se mouraient, à la lettre, n’ayant rien de vital à respirer, la religion leur manquant autant et plus que le monde… La mort, l’ennui, le vide, rien aujourd’hui, rien demain, rien le matin, rien le soir. Un confesseur parfois et quelque libertinage… Ou bien elles se jetaient brusquement de l’autre côté, du cloître à Voltaire, à Rousseau, en pleine révolution. J’en ai vu de bien incrédules. Peu se faisaient une foi, mais celles-là l’avaient forte et la suivaient dans la flamme… Témoin Mlle Corday, nourrie au cloître[1] de Plutarque et d’Émile, sous les voûtes de Mathilde et de Guillaume-le-Conquérant.

Ce fut comme une revue de tous les infortunés ; tous les revenants du Moyen-âge apparurent à leur tour, en face du Clergé, l’universel oppresseur. Les juifs vinrent. Souffletés annuellement à Toulouse ou pendus entre deux chiens, ils vinrent modestement demander s’ils étaient hommes. Ancêtres du christianisme, si durement traités par leur fils, ils l’étaient

  1. À l’Abbaye-aux-Dames de Caen. (Voir les Biographies de Paul Delasalle, Louis Dubois, etc.)