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Personne ne fut plus grand et plus tendre dans la mort. Il parlait de sa vie au passé, et de lui qui avait été, et qui avait cessé d’être. Il ne voulut de médecin que Cabanis, son ami, fut tout entier à l’amitié, à la pensée de la France. Ce qui, mourant, l’inquiétait le plus, c’était l’attitude douteuse, menaçante des Anglais, qui semblaient préparer la guerre. « Ce Pitt, disait-il, gouverne avec ce dont il menace, plutôt qu’avec ce qu’il fait. Je lui aurais donné du chagrin si j’avais vécu. »

On lui parla de l’empressement extraordinaire du peuple à demander de ses nouvelles, du respect religieux, du silence de la foule, qui craignait de le troubler. « Ah ! le peuple, dit-il, un peuple si bon est bien digne qu’on se dévoue pour lui, qu’on fasse tout pour fonder, affermir sa liberté. Il m’était glorieux de vivre pour lui, il m’est doux de sentir que je meurs au milieu du peuple. »

Il était plein de sombres pressentiments sur le destin de la France : « J’emporte avec moi, disait-il, le deuil de la monarchie ; ses débris vont être la proie des factieux. »

Un coup de canon s’étant fait entendre, il s’écria, comme en sursaut : « Sont-ce déjà les funérailles d’Achille ? »

Le 2 avril au matin, il fit ouvrir ses fenêtres et me dit d’une voix ferme (c’est Cabanis qui parle) : « Mon ami, je mourrai aujourd’hui. Quand on en est là, il ne reste plus qu’une chose à faire, c’est de se parfumer, de se couronner de fleurs et de