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dans l’orage, ils n’y purent rien ajouter. Rousseau fut inconséquent, et ils furent inconséquents.

Notons cette inconséquence.

Dans l’Émile, dans la Profession de foi du vicaire savoyard, Rousseau a atteint la profonde idée de la suprématie absolue du droit, du devoir, disant que Dieu même n’en est pas affranchi[1]. Mais dans le Contrat social, le droit flotte devant ses yeux, il n’est plus une idée simple, primitive, absolue ; il croit avoir besoin de l’expliquer, il le dérive d’une idée antérieure[2].

Il appuie la justice sur la préférence de chacun pour soi, sur l’intérêt personnel. La justice sociale va se trouver fondée sur l’intérêt général. Plus d’injustice dès que cet intérêt général commande, dès que l’injustice peut servir au Salut public, seule base de la justice.

Le salut, dans ce système, est pris pour point de départ, comme l’idée la plus claire, la notion la plus précise, qui prête sa clarté aux autres. Cependant, dans cette incertitude infinie des choses humaines, lorsque les fameux politiques se trompent à chaque instant, sont-ils sûrs de ne pas se tromper ici, de bien savoir ce qu’ils disent, quand ils parlent de

  1. « Dieu, dit-on, ne doit rien à ses créatures. Je crois qu’il leur doit tout ce qu’il leur promit en leur donnant l’être », etc. (Émile, livre IV.)
  2. « L’égalité de droit et la notion de justice qu’elle produit dérivent de la préférence que chacun se donne. » Il dit, quelques lignes plus haut, que si tous, dans la Cité, désirent le bonheur de tous, c’est qu’ils y voient leur intérêt (liv. II, chap. iv).

    Cette doctrine peu élevée rappelle que le Contrat social fut écrit d’abord à Venise.