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aggravée matériellement par la disparition subite de toute ressource. Le premier résultat des violences fut de faire partir, outre les nobles, beaucoup de gens riches ou aisés, nullement ennemis de la Révolution, mais qui avaient peur. Ce qui restait n’osait ni bouger, ni entreprendre, ni vendre, ni acheter, ni fabriquer, ni dépenser. L’argent, effrayé, se tenait au fond des bourses, toute spéculation, tout travail était arrêté.

Spectacle bizarre ! la Révolution allait ouvrir la carrière au paysan ; elle la fermait à l’ouvrier. Le premier dressait l’oreille aux décrets qui mettaient en vente les biens ecclésiastiques ; le second, muet et sombre, renvoyé des ateliers, se promenait les bras croisés, errait tout le jour, écoutait les conversations. des groupes animés, remplissait les clubs, les tribunes, les abords de l’Assemblée. Toute émeute, payée ou non payée, trouvait dans la rue une armée d’ouvriers aigris de misère, de travailleurs excédés d’ennui et d’inaction, trop heureux, de manière ou d’autre, de travailler au moins un jour.

Dans une telle situation, la responsabilité de la grande société politique, celle des Jacobins, était véritablement immense. Quel rôle devait-elle prendre ? Un seul : rester forte contre sa passion même, éclairer l’opinion, éviter les brutalités terroristes qui allaient créer à la Révolution d’innombrables ennemis, mais en même temps veiller de si près les contre-révolutionnaires qu’à la moindre occasion vraiment juste on pût les frapper.