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Laplace et Lagrange. Je parle de Lavoisier. On sait que Lagrange fut tellement frappé du grandiose aspect de ce monde chimique dont Lavoisier venait d’arracher le voile que, dix ans durant, il en oublia les mathématiques, ne pouvant plus supporter la sécheresse du calcul abstrait, lorsque s’ouvrait devant lui le sein profond de la nature.

Ce grand révolutionnaire, Lavoisier, n’eût pu faire sa révolution s’il n’eût été riche. Et c’est pour cela qu’il avait voulu être fermier général. Loin de prendre dans ces fonctions l’esprit de fiscalité, il conseilla l’abaissement de plusieurs impôts, soutenant que le revenu croîtrait, loin de diminuer. Créé par Turgot directeur des poudres[1], il abolit l’usage vexatoire de fouiller les caves pour y prendre le salpêtre. Une chose fera juger son cœur. Au milieu de tant de travaux et de fonctions diverses, il trouvait le temps de se livrer à une longue, pénible, dégoûtante recherche, l’étude des gaz qui se dégagent des fosses d’aisances, sans autre espoir que de sauver la vie à quelques malheureux.

  1. Infiniment plus connu que les autres fermiers généraux, Lavoisier concentra sur lui la haine trop naturelle du peuple pour ce corps funeste à l’État. Il avait eu la part principale dans une mesure nécessaire a l’assainissement de Paris, qui occupa tous les esprits, frappa les imaginations, l’enlèvement nocturne des corps entassés depuis tant de siècles au cimetière des Innocents. On lui attribua, sans preuve, le plan de la nouvelle muraille dont la ferme générale entoura Paris. Marat lui reproche d’avoir voulu, par cette muraille, « ôter l’air à la ville », l’étouffer. Il l’accuse aussi d’avoir transporté les poudres de l’Arsenal dans la Bastille, la nuit du 12 au 13 juillet ; le transport, je crois, eut lieu plus tôt (dès le 30 juin, la Bastille fut mise en état de défense), et il eut lieu sur un ordre du ministre, auquel le directeur des poudres ne pouvait rien opposer.