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vivants, sauvant l’un, damnant l’autre. Ses jugements s’étendaient jusqu’aux affaires privées. Celles des femmes semblent lui être spécialement recommandables. Il protège une religieuse fugitive. Il prend parti pour une dame en querelle avec son mari et fait à ce mari d’effroyables menaces.

Une vie à part, exceptionnelle, qui ne permet pas à l’homme de contrôler ses jugements par ceux des autres hommes, rend aisément visionnaire. Marat n’était pas éloigné de se croire la seconde vue. Il prédit sans cesse, au hasard. En cela, il flatte singulièrement la disposition des esprits ; les misères extrêmes les rendaient crédules, impatients de l’avenir ; ils écoutaient avidement ce Mathieu Laensberg. Chose curieuse, personne ne voit qu’il se trompe à chaque instant. Cela est frappant néanmoins pour les affaires extérieures : il ne soupçonne nullement le concert de l’Europe contre la France (voir 28 août 1790, no 204, et autres). Pour l’intérieur, voyant tout en noir, il risque peu de se tromper. On relève avec admiration tout ce qui s’accomplit des paroles du prophète. Les journalistes eux-mêmes, peu jaloux de celui qu’ils jugent un fou sans conséquence, ne craignent pas de le relever, de s’extasier ; ils l’appellent le divin Marat. Dans la réalité, son excessive défiance lui tient lieu parfois de pénétration. Le jour, par exemple, où Louis XVI sanctionne le décret qui exige le serment des prêtres, Marat lui adresse des paroles pleines de force et de sens. Il rappelle son éducation, ses précédents de famille, et lui demande par quelle