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refrain : la mort. Nul autre changement que le chiffre des têtes à abattre, six cents têtes, dix mille têtes, vingt mille têtes ; il va, s’il m’en souvient, jusqu’au chiffre, singulièrement précisé, de deux cent soixante-dix mille têtes.

Cette uniformité même, qui semblait devoir ennuyer et blaser, servit Marat. Il eut la force, l’effet d’une même cloche, d’une cloche de mort, qui sonnerait toujours. Chaque matin, avant jour, les rues retentissaient du cri des colporteurs : « Voilà l’Ami du peuple ! » Marat fournissait chaque nuit huit pages in-octavo qu’on vendait le matin ; et à chaque instant il déborde, ce cadre ne lui suffit pas ; souvent, le soir, il ajoute huit pages ; seize en tout pour un numéro ; mais cela ne lui suffit pas encore, ce qu’il a commencé en gros caractères, souvent il l’achève en petits, pour concentrer plus de matière, plus d’injures, plus de fureur. Les autres journalistes produisent par intervalles, se relayent, se font aider. Marat jamais. L’Ami du peuple est de la même main ; ce n’est pas simplement un journal, c’est un homme, une personne.

Comment suffisait-il à ce travail énorme ? Un mot explique tout. Il ne quittait pas sa table ; il allait très rarement à l’Assemblée, aux clubs. Sa vie était une, simple : écrire. Et puis ? Écrire, écrire la nuit, le jour. La police aussi de bonne heure lui rendit le service de le forcer de vivre caché, enfermé, livré tout au travail ; elle doubla son activité. Elle intéressa vivement le peuple à son Ami, persécuté pour lui, fugitif,