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combien le sentiment du droit, l’indignation, la pitié pour l’opprimé, peuvent devenir des passions violentes et parfois cruelles. Qui n’a vu cent fois les femmes, à la vue d’un enfant battu, d’un animal brutalement maltraité, s’emporter aux dernières fureurs ?… Marat n’a-t-il été furieux que par sensibilité, comme plusieurs semblent le croire ? Telle est la première question.

S’il en est ainsi, il faut dire que la sensibilité a d’étranges et bizarres effets. Ce n’est pas seulement un jugement sévère, une punition exemplaire, que Marat appelle sur ceux qu’il accuse ; la mort ne lui suffirait pas. Son imagination est avide de supplices ; il lui faudrait des bûchers, des incendies[1], des mutilations atroces : « Marquez-les d’un fer chaud, coupez-leur les pouces, fendez-leur la langue[2] » ; etc.

Quel que soit l’objet de ces emportements, qu’on le suppose ou non coupable, ils n’avilissent pas moins celui qui s’y livre. Ce ne sont pas là les graves, les saintes colères d’un cœur vraiment atteint de l’amour de la justice. On croirait plutôt y voir le délire d’une femme hors d’elle-même, livrée aux fureurs hystériques ou près de l’épilepsie.

Ce qui étonne encore plus, c’est que ces transports, qu’on voudrait expliquer par l’excès du fanatisme, ne procèdent d’aucune foi précise qu’on puisse caractériser. Tant d’indécision avec tant d’emporte-

  1. Ami du peuple, no 327, p. 3, 1er janvier 1791 ; — no 351, p. 8, 25 janvier 1791.
  2. Ibid., no 303, p. 7, 9 décembre 1790 ; — no 325, p. 4, 30 décembre 1790, etc.