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sorte de guerre entre les vainqueurs de la Bastille. Hullin et d’autres, qui s’étaient enrôlés dans la garde nationale soldée, étaient désignés par lui à la vengeance du peuple, comme « mouchards de La Fayette ». Il ne se contentait pas de donner leurs noms, il y joignait leur adresse, la rue et le numéro, pour que, sans autre recherche, on allât les égorger. Ses feuilles étaient réellement des tables de proscription où il inscrivait à la légère, sans examen, sans contrôle, tous les noms qu’on lui dictait. Des noms chers à l’humanité, depuis le 14 juillet, celui du vaillant Élie, celui de M. de La Salle, oublié par l’ingratitude du nouveau gouvernement, n’en étaient pas moins inscrits par Marat pêle-mêle avec les autres. Il avoue lui-même que, dans sa précipitation, il a confondu La Salle avec l’horrible de Sade, l’infâme et sanguinaire auteur. Une autre fois, il inscrit parmi les modérés, les Fayettistes, Maillard, l’homme du 5 octobre, le juge du 2 septembre.

Malgré toutes ces violences et ces légèretés criminelles, l’indignation visiblement sincère de Marat contre les abus m’intéressait à lui, je dois le dire. Ce grand nom d’Ami du peuple commandait aussi à l’histoire un sérieux examen. J’ai donc religieusement instruit le procès de cet homme étrange, lisant, la plume à la main, ses journaux, ses pamphlets, tous ses ouvrages[1]. Je savais, par beaucoup d’exemples,

  1. On comprend, de reste, que pour instruire ce procès, je n’ai cru devoir m’en rappeler à aucun des ennemis de Marat ; c’est dans ses ouvrages mêmes que j’ai puisé généralement ; c’est sur son propre témoignage que je veux le condamner ou l’absoudre.