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tyrannique pour les faibles (naguère à Genève, en Hollande, maintenant à Bruxelles, à Liège), la royauté, dis-je, en même temps intéressait à Paris, elle tirait de Louis XVI et de sa famille une incalculable force de sympathie, de pitié. Ainsi elle allait de l’épée et du poignard, et c’est sur elle qu’on pleurait. La captivité du roi, objet de tous les entretiens chez toutes les nations du monde, y faisait ce qu’il y a de plus rare dans nos temps modernes, de plus puissant, de plus terrible, une légende populaire ! une légende contre la France. Tout le monde parlait de Louis XVI et personne ne parlait de la pauvre petite Liège barbarement étouffée par le beau-frère de Louis XVI. Liège, notre avant-garde du Nord, qui jadis pour nous sauver a péri deux ou trois fois, Liège, notre Pologne de Meuse… dédaigneusement écrasée entre ces colosses du Nord, sans que personne y regarde. Mais qu’est-ce donc que le cœur de l’homme, s’il faut qu’il y ait des caprices si injustes dans sa pitié ?

De quelque côté que je regarde, je vois un immense, un redoutable filet, tendu de partout, du dehors et du dedans. Si la Révolution ne trouve une force énergiquement concentrée d’association, si elle ne se contracte pas dans un violent effort d’elle-même sur elle-même, je crois que nous périssons. Ce ne sont pas les innocentes fédérations, qui mêlaient indistinctement les amis et les ennemis dans l’aveugle élan d’une sensibilité fraternelle, ce ne sont pas elles, ne l’espérons pas, qui nous tireront d’ici.