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Voilà la force de l’amour. Pour atteindre à l’unité, rien n’a fait obstacle, nul sacrifice n’a coûté. D’un coup, sans s’en apercevoir même, ils ont oublié à la fois les choses pour lesquelles ils se seraient fait tuer la veille, le sol natal, la tradition locale, la légende… Le temps a péri, l’espace a péri, ces deux conditions matérielles auxquelles la vie est soumise… Étrange vita nuova qui commence pour la France, éminemment spirituelle, et qui fait de toute sa Révolution une sorte de rêve, tantôt ravissant et tantôt terrible… Elle a ignoré l’espace et le temps.

Et c’est pourtant l’Antiquité, les habitudes, les vieilles choses connues, les signes usités, les symboles vénérés, c’est tout cela qui, jusqu’à ce jour, avait fait la vie… Tout cela aujourd’hui ou pâlit ou disparaît. Ce qui en reste, par exemple, les cérémonies du vieux culte, appelé pour consacrer ces fêtes nouvelles, on sent que c’est un accessoire. Il y a dans ces immenses réunions, où le peuple de toute classe et de toute communion ne fait plus qu’un même cœur, une chose plus sacrée qu’un autel. Aucun culte spécial ne prête de sainteté à la chose sainte entre toutes : l’homme fraternisant devant Dieu.

Tous les vieux emblèmes pâlissent, et les nouveaux qu’on essaye ont peu de signification. Qu’on jure sur le vieil autel, devant le Saint-Sacrement, qu’on jure devant la froide image de la Liberté abstraite, le vrai symbole se trouve ailleurs. C’est la beauté, la grandeur, le charme éternel de ces fêtes : le symbole y est vivant.