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pour rien, et bientôt nous serons tout. » (8 décembre, 3 janvier.)

Vaine espérance ! pouvait-on croire que le soldat fermerait longtemps les yeux, qu’il verrait sans émotion cet enivrant spectacle de la fraternité de la France, qu’au moment où la patrie était retrouvée, seul, il s’obstinerait à rester hors de la patrie, que la caserne, le camp, seraient comme une île, séparés du reste du monde ?

Il est alarmant sans doute de voir l’armée qui délibère, qui distingue, choisit dans l’obéissance. Ici, pourtant, comment pouvait-il en être autrement ? Si le soldat obéissait aveuglément à l’autorité, il désobéissait à l’autorité suprême d’où procèdent toutes les autres ; docile à ses officiers, il se trouvait infailliblement rebelle au chef de ses chefs, à la loi. S’abstenir, ne pas agir, il ne le pouvait ; la contre-révolution ne l’entendait pas ainsi, elle lui commandait de tirer sur la Révolution, sur la France, sur le peuple, sur son père, son frère, qui lui tendaient les bras.

Les officiers lui apparurent ce qu’ils étaient, l’ennemi ; — un peuple à part, qui était, et de plus en plus, d’autre race, d’autre nature. Comme les vieux pécheurs endurcis s’enfoncent dans leur péché en avançant vers la mort, l’Ancien-Régime vers sa fin était plus dur et plus injuste. Les hauts grades ne se donnaient plus qu’aux jeunes gens de la cour, aux petits protégés des dames ; le ministre Montbarey a raconté lui-même la scène violente, indé-