Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

général, la patience à la supporter une vertu chez nous si commune que les historiens les remarquent rarement. L’histoire manque d’ailleurs au dix-huitième siècle ; la France, après le cruel effort des guerres de Louis XIV, souffre trop pour se raconter. Plus de Mémoires ; personne n’a le courage d’écrire sa vie individuelle ; la vanité même se tait, n’ayant que de la honte à dire. Jusqu’au mouvement philosophique, ce pays est silencieux, comme le palais désert de Louis XIV, survivant à sa famille, comme la chambre du mourant qui gouverne, le vieux cardinal Fleury.

L’histoire de cette misère est d’autant moins aisée à faire que les époques n’en sont pas, comme ailleurs, marquées par des révoltes. Elles n’ont été plus rares chez aucun peuple… Celui-ci aimait ses maîtres ; il n’a pas eu de révolte, rien qu’une Révolution.

C’est de ses maîtres mêmes, rois, princes, ministres, prélats, magistrats, intendants, que nous allons apprendre les extrémités où il était parvenu. Ce sont eux qui vont caractériser le régime sous lequel on tenait le peuple.

Le chœur lugubre où ils semblent venir tous l’un après l’autre raconter la mort de la France s’ouvre par Colbert en 1681 : « On ne peut plus aller », dit-il, et il meurt. — On va pourtant, car on chasse un demi-million d’hommes industrieux vers 1685, et l’on en tue encore plus dans une guerre de trente années. Mais combien, grand Dieu ! il en meurt davantage de misère !

Dès 1698, le résultat est visible. Les intendants