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vergne, le naïf espoir du peuple, le tremblement de la noblesse. Un paysan, parlant à un seigneur, ne s’était pas découvert ; le noble jette le chapeau par terre : « Si vous ne le ramassez, dit le paysan, les Grands-Jours vont venir, le roi vous fera couper la tête… » Le noble eut peur et ramassa[1].

Grande, sublime position de la royauté !… Pourquoi faut-il qu’elle en soit descendue, que le juge de tous soit devenu le juge de quelques-uns, que ce dieu de la justice, comme celui des théologiens, ait aussi voulu avoir des élus ?

Tant de confiance et d’amour !… Tout cela trompé. Ce roi tant aimé fut dur pour le peuple. Cherchez partout, dans les livres, les tableaux, voyez-le dans ses portraits ; pas un mouvement, pas un regard ne révèle un cœur touché. L’amour d’un peuple, cette chose si grande, si rare, ce vrai miracle, n’a

  1. Les gens du roi, les parlementaires, qui inspiraient au peuple tant de confiance (et qui, il est vrai, ont rendu de grands services), ne représentaient cependant pas la Justice plus sérieusement que les prêtres ne représentaient la Grâce. Cette justice royale était, en dernière analyse, soumise à l’arbitraire du roi. Un grand maître en machiavélisme, le cardinal Dubois, dans un mémoire au Régent contre les États généraux (au tome Ier du Moniteur), explique, avec beaucoup d’esprit et de netteté, la mécanique fort simple de ce jeu parlementaire, les passes de ce menuet, les figures de cette danse, jusqu’au lit de justice, qui finit tout, en mettant la Justice sous les pieds du bon plaisir. — Quant aux États généraux qui font grand’peur à Dubois, Saint-Simon, son adversaire, les recommande comme un expédient innocent, agréable et facile, pour se dispenser de payer ses dettes, rendre la banqueroute honorable, la canoniser, c’est son mot ; du reste, ces États n’ont jamais rien de sérieux, dit-il avec raison ; Verba, voces, rien de plus. Moi, je dis qu’il y avait, et dans les États, et dans les parlements, une chose fort sérieuse ; c’est que ces vaines images de liberté occupaient, employaient le peu qu’on avait de vigueur et d’esprit de résistance. Ce qui fit que la France ne put avoir de constitution, c’est qu’elle croyait en avoir une.