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fils. La cour de marbre était terrible, houleuse de vagues irritées ; les gardes nationaux en haie tout autour ne pouvaient répondre du centre ; il y avait là des hommes furieux, aveugles, et des armes à feu. La Fayette fut admirable, il risqua, pour cette femme tremblante, sa popularité, sa destinée, sa vie ; il parut avec elle sur le balcon et il lui baisa la main[1].

La foule sentit cela. L’attendrissement fut unanime. On vit la femme et la mère, rien de plus… « Ah ! qu’elle est belle !… Quoi ! c’est là la reine ?… Comme elle caresse ses enfants !… » — Grand peuple ! que Dieu te bénisse, pour ta clémence et ton oubli !

Le roi était tout tremblant quand la reine alla au balcon. La chose ayant réussi : « Mes gardes, dit-il à La Fayette, ne pourriez-vous pas faire quelque chose aussi pour eux ? — Donnez-m’en un. » — La Fayette le mène sur le balcon, lui dit de prêter serment, de montrer à son chapeau la cocarde nationale. Le garde l’embrasse. On crie : « Vivent les gardes du corps ! » Les grenadiers, pour plus de sûreté, prirent les bonnets des gardes, leur donnèrent les leurs ; mêlant ainsi les coiffures, on ne pouvait plus tirer sur les gardes sans risquer de tirer sur eux.

  1. La déposition la plus curieuse de beaucoup est celle de la femme La Varenne, cette vaillante portière dont nous avons parlé. On y voit parfaitement comment une légende commence. Cette femme est témoin oculaire, acteur ; elle reçoit une blessure en sauvant un garde du corps, et elle voit, entend tout ; ce qu’elle a dans l’esprit, elle l’ajoute de bonne foi. « La reine a paru au balcon ; M. de La Fayette a dit : « La reine a été trompée… » Elle promet d’aimer son peuple, d’y être attachée, comme Jésus-Christ l’est à son Église. Et en signe de probation, la reine, versant des larmes, a levé deux fois la main. Le roi a demandé grâce pour ses gardes », etc.