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La honte de cette guerre sans danger, l’horreur de verser le sang français, qui ne touchaient guère les Suisses, finirent par faire tomber les armes des mains des invalides. Les sous-officiers, à quatre heures, prièrent, supplièrent De Launay de finir ses assassinats. Il savait ce qu’il méritait ; mourir pour mourir, il eut envie un moment de se faire sauter, idée horriblement féroce : il aurait détruit un tiers de Paris. Ses cent trente-cinq barils de poudre auraient soulevé la Bastille dans les airs, écrasé, enseveli tout le faubourg, tout le Marais, tout le quartier de l’Arsenal… Il prit la mèche d’un canon. Deux sous-officiers empêchèrent le crime, ils croisèrent la baïonnette et lui fermèrent l’accès des poudres. Il fit mine alors de se tuer et prit un couteau qu’on lui arracha.

Il avait perdu la tête et ne pouvait donner d’ordre[1]. Quand les Gardes-françaises eurent mis leurs canons en batterie et tiré (selon quelques-uns), le capitaine des Suisses vit bien qu’il fallait traiter ; il écrivit, il passa un billet[2] où il demandait à sortir avec les honneurs de la guerre. — Refusé. — Puis la vie sauve. — Hullin et Élie promirent.

La difficulté était de faire exécuter la promesse. Empêcher une vengeance entassée depuis des siècles, irritée par tant de meurtres que venait de faire la Bastille, qui pouvait cela ?… Une autorité qui datait d’une

  1. Dès le matin, au témoignage de Thuriot. (Voir le Procès-verbal des électeurs.)
  2. Pour l’aller prendre, on plaça une planche sur le fossé. Le premier qui s’y hasarda tomba ; le second (Arné ? ou Maillard ?) fut plus heureux et rapporta le billet.