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pâle, avec le visage d’un spectre : « Vous n’avez pas deux minutes à vivre, si vous restez… La Grève frémit de rage… Les voilà qui montent… » Ils n’essayèrent pas de fuir, et c’est ce qui les sauva.

Toute la fureur du peuple se concentra sur le prévôt des marchands. Les envoyés des districts venaient successivement lui jeter sa trahison à la face. Une partie des électeurs, se voyant compromis devant le peuple par son imprudence et par ses mensonges, tournèrent contre lui, l’accusèrent. D’autres, le bon vieux Dussaulx (le traducteur de Juvénal), l’intrépide Fauchet, essayèrent de le défendre, innocent ou coupable, de le sauver de la mort. Forcé par le peuple de passer du bureau dans la grande salle Saint-Jean, ils l’entourèrent, et Fauchet s’assit à côté de lui. Les affres de la mort étaient sur son visage. « Je le voyais, dit Dussaulx, mâchant sa dernière bouchée de pain ; » elle lui restait aux dents, et il la garda deux heures sans venir à bout de l’avaler. Environné de papiers, de lettres, de gens qui venaient lui parler affaires, au milieu des cris de mort, il faisait effort pour répondre avec affabilité. Ceux du Palais-Royal et du district de Saint-Roch étant les plus acharnés, Fauchet, y courut pour demander grâce. Le district était assemblé dans l’église de Saint-Roch ; deux fois, Fauchet monta en chaire, priant, pleurant, disant les paroles ardentes que son grand cœur pouvait trouver dans cette nécessité ; sa robe, toute criblée des balles de la Bastille[1], était éloquente aussi ;

  1. Fauchet, Bouche de fer, no 16, novembre 1790, III, 244.